Certaines expériences marquent plus que d'autres. Je reviens justement de Sherbrooke où j'ai eu le privilège de participer au stage Oralité du conte, avec Christine Andrien, formatrice à la Maison du conte de Bruxelles.
De cette formation, je retiens les éléments suivants (placés en vrac) : 1) Quand on choisit un conte traditionnel, il est utile de le résumer, d'en tirer les principales séquences. Cela permet de vérifier si on a bien intégré l'histoire et de «dégager l'essentiel de l'accessoire»; 2) Quand la nervosité prend le dessus, avant de commencer à conter, regarder chaque personne dans le public (c'est plus aisé quand l'auditoire est peu nombreux); 3) Le récit doit être clair dans notre tête comme dans un film. Quel est sa chronologie? Quelle image vient d'abord? Quelle autre ensuite? Comment bien la transmettre? 4) Même lorsqu'on cherche une image, il importe de rester en relation avec le public, de s'appuyer sur le regard bienveillant de l'auditoire (qui, d'une certaine façon, nous dit : «Et alors?») pour rebondir et poursuivre le récit; 5) Privilégier les phrases courtes, en offrant une première image à une personne, une deuxième, à une autre, etc.; 6) Éviter les connecteurs («mais», «puis», «et», etc.), les relatives (qui...), les justifications (parce que...), les interprétations (il est déçu...), les participes présents («en montant les escaliers...»); 7) Quand, dans le récit, des séquences sont trop complexes, donner la parole aux personnages; un monologue ou un dialogue permettent de dire des «trucs» abstraits, qui ne passeraient pas par la narration; 8) Les auditeurs sont «malins»; il n'est pas nécessaire de leur donner toute l'information qui risque plutôt de montrer l'insécurité du conteur. Le public est partie prenante de la création. Laisser l'imaginaire de chacun faire des liens en partageant des images porteuses de sens (ex. : utiliser les cinq sens). Faire «sentir» plutôt qu'imposer le récit par des commentaires; 9) Le narrateur n'est pas le personnage. Il le suit à la trace, sans être dans sa tête et sans ressentir ses émotions. Par conséquent, les gestes du narrateur ne doivent pas répéter les actions accomplies par le personnage; 10) Éviter de surjouer : une trop grande théâtralité émotive peut contaminer la narration; laisser venir les émotions naturellement, tout en restant soi-même; 11) Prendre le temps de respirer, de bien se poser, d'être en position d'équilibre. Les silences peuvent être bénéfiques; 12) Le conteur doit être conscient de ce qu'il dit; 13) Laisser de la place au suspens; distiller l'information au fur et à mesure; 14) Faire attention aux émotions que peut révéler le visage du conteur (non-verbal) ou sa voix; 15) Fermer une image en descendant le ton de la voix avant d'en proposer une nouvelle; 16) Commencer par situer le récit en décrivant le décor. Puis, parler des personnages principaux, de leur relation entre eux. Amener ensuite le nœud du problème; 17) Faire parler directement les personnages en ôtant les « Il dit », « Il crie », « Il explique que... »; 18) Quand il s'agit d'un monologue (un personnage se parle à lui-même), regarder en l'air ou en bas; pour un dialogue, fixer deux axes opposés (à gauche et à droite); 19) Quand on veut jouer un personnage, reculer d'un pas en regardant le public (pour lui signifier : Regardez, je vais vous le montrer!), puis fixer un point au-dessus de la tête des spectateurs; reprendre son rôle de narrateur en avançant d'un pas; 20) Il existe deux espaces : l'espace de la narration (en avant), où on reste soi-même comme conteur, et l'espace imaginaire (en arrière), où on peut jouer les personnages; 21) Citation un personnage : l'imiter, sans entrer dans l'espace imaginaire, c'est-à-dire sans reculer); 22) Faire un geste et ensuite, le détailler à l'oral, ou faire l'inverse; les deux en même temps, c'est redondant; 23) Quand on décrit, dire ce qui est plutôt que ce qui n'est pas (éliminer la négative); 24) Comme le retour du conteur dans l'espace de la narration annule les axes du regard choisis dans l'espace imaginaire, il n'est pas nécessaire de se rappeler quel personnage parlait à l'axe gauche et quel autre, à l'axe opposé; 25) Privilégier les verbes d'action («Il sort. Il marche.») plutôt que les verbes qui la préparent («Il sort pour marcher»)... Bien entendu, ces points ne constituent pas des dogmes, mais les connaître permet au moins de s'appuyer sur une base solide pour ensuite la dépasser, au besoin. Beaucoup de conteurs ne croient pas en l'utilité/la nécessité d'une école du conte au Québec. Ils craignent un certain formatage où tous les conteurs sortiraient d'un même moule. Je ne partage pas cette peur, ni cet avis. Chaque conteur porte une couleur particulière, est nourri d'un bagage différent. Il ne peut pas conter de la même façon qu'un autre, à moins d'un désir de plagiat délibéré (ce qui est autre chose). Et puis, même s'il existait une école du conte à Sherbrooke, par exemple, qu'est-ce qui empêcherait d'en avoir une qui offrirait un programme différent à Montréal ou ailleurs? Pour moi, conter reste un art d'humilité. On ne sait pas tout, on ne maîtrise pas tout. Comme l'a dit Christine Andrien, « Conter, c'est l'art de l'imperfection. » Et pourtant, il faut aspirer à se perfectionner sans cesse, par des ateliers, des échanges, des lectures, des défis qu'on se lance, des occasions de conter qu'on accepte. Accepter d'être bousculé dans ses convictions, n'est-ce pas la meilleure façon d'avancer?
1 Commentaire
Michel Fisch
5/23/2013 09:07:52 am
Merci Geneviève,
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Geneviève FalaiseArtiste de la parole Archives
Décembre 2018
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