Je partage l’avis de Maxime Plamondon, conteur de la ville de Québec, qui affirme que le conte souffre quand même beaucoup, ici, au Québec (https://maximeplamondon.com/histoires/raconter-le-social/).
Toutefois, je n’irais pas jusqu’à dire que les conteurs eux-mêmes ont bien peu travaillé, depuis le renouveau des années 90, afin d’adapter leur art à la réalité contemporaine. En effet, je ne connais pas assez le travail de tous les conteurs du Québec; ce serait injuste de ma part de généraliser sur ce plan. J’essaie tout de même de me tenir à jour en assistant le plus régulièrement possible aux soirées de contes, telles Les Dimanches du conte, qui ont l’audace de programmer une pluralité de styles. J’essaie aussi d’être présente comme spectatrice lors des festivals de contes. Cela élargit toujours les perspectives. Et les rencontres sont toujours bienvenues. Je suis néanmoins particulièrement d’accord avec le fait que les conteurs actuels se complaisent à entretenir les chicanes de clocher, notamment sur la définition de ce qu’est le conte. Entre eux, les conteurs se font mal. Ce que lui fait, dit untel, n’est pas du conte. Ce que l’autre fait, dit l’autre, n’est pas du conte. En 2016, le conte ne peut plus englober que le conte traditionnel. Le conte traditionnel reste une source inépuisable d’inspiration, mais les horizons du conte se sont élargis, et c’est tant mieux. Vive la liberté! Côté forme, il est possible d’intégrer du multimédia, de la danse, du théâtre d’objets (clin d’œil à Françoise Crête avec son touchant spectacle Esther, oie sauvage), du chant, de l’humour, une mise en scène élaborée avec effets sonores, du mime… Pourvu que tout ça rende service à l’histoire et que l’histoire elle-même ait été pensée avec la tête, le cœur et tout le corps, je dirais. Côté fond, je le répète, l’histoire doit avoir été pensée, travaillée et retravaillée, peaufinée avec la tête (message à caractère social, valeurs), le cœur (symbolique, nuances, émotions) et le corps (présentation). Comme Maxime Plamondon, je cherche à m’inspirer de ce que je vois, entends, vis, dans la réalité d’aujourd’hui, afin de créer et, je l’espère, de contribuer à l’avancement collectif. Mon engagement d’artiste porte essentiellement sur l’exploration des relations hommes-femmes, des problématiques encore tabous (violence, abus, maladie mentale, suicide, etc.), avec un intérêt marqué pour les Premières Nations et leurs légendes. Est-ce que je propose des solutions? Je suggère plutôt des pistes sans rien imposer. En créant de nouveaux modèles, j’aspire – sûrement avec naïveté mais surtout espoir – à ajouter quelques pierres au chemin d’aujourd’hui. C’est en cela que mon regard reste neuf. Et je suis loin de m’isoler comme artiste. Je tente de créer des ponts avec d’autres conteurs (par des duos ponctuels ou récurrents, par des rencontres, comme spectatrice de leurs spectacles, en recourant à leur expertise, etc.), avec une anthropologue, avec des groupes de femmes… Je veux m’imprégner de ces rencontres, tout en gardant une reconnaissance pour l’héritage du passé. Je ne renierai pas la tradition et j’aime bien entendre, de temps en temps, quelques histoires du temps des grands-parents ou même d’avant. Ça me fait prendre conscience que certains comportements humains n’ont malheureusement pas encore évolué et qu’ils doivent changer… Pour aller plus loin comme artiste, je veux m’inspirer des grands récits portés par les voix de Stéphanie Bénéteau ou de Nadine Walsh, qui ont leur place et doivent être entendus. Je veux également être portée par les histoires contemporaines d’Éric Gauthier ou de Maxime Plamondon, qui ont également leur place. En ce qui concerne les difficultés du milieu du conte, plusieurs ont été énumérées avec justesse par Maxime. Oui, il manque de diffusion des activités. Parfois les salles sont plus vides que remplies (même si on essaie de se consoler en disant ce n’est pas la quantité mais la qualité qui compte). Oui, le conte en général est encore méconnu. Il faut initier le public à cet art, lui montrer qu’il n’existe pas que pour endormir les enfants mais qu’il sert aussi à réveiller les adultes (une maxime qui circule dans notre milieu et dont j’ignore qui en est l’auteur). Il s’agit de beaux défis pour le milieu, et lorsqu’à la fin d’une prestation, une personne du public vient nous voir avec les yeux remplis d’étoiles et nous dit qu’elle vient de découvrir le conte, la gratification reçue demeure inestimable. Mais le principal problème dans le milieu reste le manque de préparation de certains conteurs ou de sérieux dans l’engagement envers leur art. Loin d’être des vacances, conter demeure un investissement total de la part de l’artiste. Pour avoir assisté à de nombreux spectacles et prestations, je peux aujourd’hui affirmer que la magie n’a pas toujours opérée. J’ai souvent décroché comme public, me suis ennuyée royalement. Je suis déjà partie lors d’entractes : honte à moi. Et souvent, j’ai eu honte : honte du contenu et honte du contenant. Honte du contenu. J’ai été parfois scandalisée de certains propos, provenant de contes anciens qui n’avaient pas été adaptés à notre époque et qui prônaient encore des valeurs franchement sexistes, ou même racistes. Sans parler des contes de création qui montraient la laideur humaine, uniquement elle, et qui laissaient les spectateurs repartir avec un profond dégoût de la vie. Est-ce bien cela qu’on veut transmettre aujourd’hui comme message? Si oui, il ne faut pas s’étonner que le public ne revienne plus aux prestations suivantes et qu’il boycotte tous les conteurs. En même temps, il est possible de présenter un travail en cours avec honnêteté et respect du public, mais il faut aviser les auditeurs de cette étape de notre parcours. Toutefois, même si on raconte ses propres histoires en chantier, je pense qu’il est primordial de faire appel à des experts en écriture, des regards avisés qui donnent l’heure juste (sans compromis) sur nos productions, avant d’oser les présenter en spectacle. Sinon, on risque de faire mal au milieu du conte. Honte du contenant. Je considère que le conte fait partie des arts de la scène. Il faut connaître certaines bases scéniques pour mieux jouer, pour mieux faire voir au public, pour le faire rêver. On peut s’opposer à ces bases bien sûr, mais seulement après y avoir été initiés. J’ai donc été gênée du manque de préparation côté présentation de l’histoire. Les tics pouvaient distraire du message (se racler la gorge, jouer avec sa monnaie, danser le tchatcha – un pas en avant, un pas en arrière). L’histoire ne se rendait pas à moi : une petite voix (il a fallu que je travaille moi-même très fort sur ce plan); une mauvaise diction; une énergie trop brute, sans nuances, comme si le conteur voulait agresser le public; ou un rythme si lent qu’il favorisait l’endormissement et les ronflements du public. J’ai eu honte de la manière de s’exprimer de certains. Ce n’est pas parce que le conte est un art de l’oralité qu’on doit absolument écorcher le français. En tout cas, j’ai mal à ma langue (et à mes oreilles) lorsqu’on ne porte plus attention, lors d’une prestation, à la beauté du français… J’ai eu honte aussi des introductions parfois douteuses de certains animateurs. Ce n’est pas le moment d’improviser. Là aussi, pour bien présenter un artiste ou réchauffer la scène, comme on dit, il faut avoir réfléchi. J’ai eu honte de l’habillement tout croche de certains conteurs : pas coiffés, vêtements de sport ou déchirés, jupe trop courte qui laissait voir les sous-vêtements, maquillage grotesque… Et j’en passe. Là, on pourrait dire que je suis superficielle. Mon arrière-grand-mère disait que la coquetterie est un cadeau que tu fais aux autres, mais surtout à toi-même. À la maison, je suis la première à rester longtemps en pyjama, sans être peignée. Et je ne me maquille presque jamais… Toutefois, pour moi, un conteur reste un artiste de la représentation. A-t-on vraiment envie de voir en spectacle l’humain au naturel, comme s’il sortait d’un travail de jardinage ou d’une soirée dans un bar? Ou a-t-on envie de voyager, de rêver, d’être ébloui? De toute manière, si l’habillement distrait du contenu, on passe à côté de l’essence du conte. Avec plus de préparation, de travail acharné, d’engagement réel des artistes-conteurs que nous sommes, je pense qu’on pourra accéder à la reconnaissance du public, et parvenir à transmettre notre passion. Bien entendu, il faudra faire preuve d’autocritique et de désir de remédier à nos lacunes. Mettre l’égo de côté, réfléchir sur notre démarche et le contenu des histoires qu’on désire raconter, s’inscrire aux formations continues, créer des ponts avec d’autres conteurs, et surtout, demeurer ouvert à la pluralité des chemins que le conte peut prendre en 2016. En aura-t-on le courage?
2 Commentaires
Claude Chiasson
5/2/2016 11:49:45 am
Avec les réseaux sociaux, l'imaginaire fout le camp. Le temps est passé d'envoyer des belles lettres parfumées à nos blondes avec sa plus belle écriture et ses meilleures tournures de phrases. Aujourd'hui, un texto suffit et se résume souvent à "oukté?" ou "kesstumange?" Et plus besoin de le raconter, on envoie une photo. Et ainsi s'éteint notre capacité de rêver. Donc là doivent intervenir les promoteurs d'imaginaire: les conteurs. En même temps artistiques et thérapeutiques.
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Nicole Filiatrault
5/3/2016 05:46:07 am
Vraiment proche de la pensée dégagée ici, depuis 5 ans déjà que J'ai crée les soirées de Contes et Chants avec des buts semblables aux besoins et espoirs énumérés dans ce blogue. Les clans, la nonchalance, la langue mal dite parce que vouloir refaire l'avant, et pourtant la langue des contes d'antan a une raison d'être, enfin bref d'accord sur toute la ligne Geneviève, merci de ton cri d'honnête artiste voulant faire avancer une cause qui le mérite autant que la véritable recherche le véritable engagement le nécessite, osons avec la vérité du devenir.
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Geneviève FalaiseArtiste de la parole Archives
Décembre 2018
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