Un jour, la merveilleuse conteuse Nadine Walsh m'a dit : Dans le conte, c'est toute ou pantoute. Je constate de plus en plus cette vérité. Il y a des périodes plus intenses que d'autres : quand les contrats se concentrent en deux ou trois mois par année, qu'on doit voyager d'un bout à l'autre de la province, offrir le meilleur de soi représente tout un défi.
En fait, je réalise qu'il faut être incroyablement en forme pour tenir le coup. Mais surtout, d'une grande force mentale. Il y a des moments de pur bonheur : obtenir une résidence de création à la Maison de la culture de Côte-des-Neiges en est un. Et en obtenir une seconde, au Château Landry de Mont-Joli (merci au Carrefour de la littérature, des arts et de la culture pour votre accueil et votre confiance envers l'artiste que je suis!) en est un autre. Justement, je bûche depuis plusieurs jours sur Rivière Rouge, ma dernière création, qui sera présentée en première le 23 novembre prochain au Château Landry. Je m'accorde quelques pauses pour reposer à la fois la voix (encore enrouée d'un reste de virus) et le corps. C'est un spectacle tellement émotif pour moi, un accouchement difficile, dont l'idée est née il y a quatre ans, je crois. J'y aborde des thématiques qui me sont chères : les pulsions de vie et de mort; la recherche d'un père disparu, et par conséquent, la quête identitaire; la fragilité de l'équilibre mental; et même la disparition des femmes autochtones. Je ne pouvais pas passer à côté de cette dernière problématique actuelle, qui me hante depuis plusieurs années. Je me sens si impuissante face aux inégalités que vivent les Premières Nations du Québec et du Canada. Et je souhaitais trouver une façon de dire, à ma manière, que je pensais à toutes ces femmes traitées si injustement dans un pays en apparence "civilisé"... Je voulais créer une histoire d'espérance, de rencontre, une histoire rouge et blanche. Grâce à des collaborateurs d'exception, j'y suis parvenue. Cette histoire résonnera-t-elle autant chez le public qu'en moi? À suivre... Mais bon sang qu'il m'en aura fallu de la ténacité pour arriver à cette étape-ci. Que de péripéties, de rebondissements, pour mettre au monde ce spectacle! En 2015-2016, j'avais eu le privilège de recevoir une bourse du Conseil des arts du Canada pour l'écrire. Mais ensuite, pour le produire, j'ai dû "accepter" les refus de ce même organisme, deux années consécutives (double ayoye), ainsi que les refus, deux années consécutives également, du Conseil des arts et des lettres du Québec (ayoye une troisième et quatrième fois). Ça fait mal aux finances personnelles, à l'ego de l'artiste et même, à l'estime de soi. C'est vrai! Car même si on veut rester au-dessus de tout ça, l'oeuvre reste toujours près de son créateur. Alors comment rester de marbre devant de telles décisions (j'allais écrire de telles déceptions)? Et là, les questions viennent en masse : - Pourquoi tant d'efforts, tant d'acharnement, dans le conte, un art si peu financé, si peu reconnu, encore tellement marginalisé? (Et savoir que la culture en général au Canada est sous-financée ne me console pas non plus.) - À quoi bon se donner à fond? (Car même quand on a l'impression d'atteindre un sommet, on risque de basculer de l'autre côté, dans le vide...) - Qu'a-t-on à prouver? Que notre voix vaut la peine d'être entendue? Que nos mots peuvent porter, atteindre le cœur et l'âme des gens? Si c'est le cas, ne serait-ce qu'une question d'orgueil? - Pour qui se donner cette peine? Le public? Soi-même? Quelle est la récompense? (Je la connais... mais bon, ce serait bien qu'elle soit plus tangible que des étoiles dans les yeux.) - Combien de temps cette folie (artistique) va-t-elle durer? Et jusqu'où va-t-elle nous entraîner? - Est-ce qu'à la fin de leur vie, parce qu'ils auront tout donné à leur art, le seul endroit qui sera accueillant pour les conteurs sera un banc de parc? Tsé...? (Bon, je sors les violons; cherchez vos kleenex.) Je n'ai pas toutes les réponses. Pas de boule de cristal. Tout ce que je sais, c'est que cette histoire, celle de mon spectacle, devait naître. Et tant qu'à être née, aussi bien la raconter. Pas juste à moi-même mais à un auditoire qui voudra bien l'entendre. Et tant qu'à la raconter, aussi bien que ce soit dans les meilleures conditions possibles pour qu'on passe ensemble un bon moment. Ici, je remercie encore les diffuseurs exceptionnels que sont le Carrefour de la littérature, des arts et de la culture et la Maison de la culture de Côte-des-Neiges (Rivière Rouge y est programmé le 30 novembre prochain). Il faut de ces lieux qui osent soutenir les artistes envers et contre tout. Faute de quoi, on irait tout de suite "squatter" notre banc de parc. Enfin, pour le spectacle de conte Rivière Rouge, je nous souhaite, au public et à moi-même, une pause hors du temps, de l'espace, du futur incertain, du passé qui déborde, du présent qui souvent déçoit... Une pause qui me donnera le goût de raconter, encore et encore... Et de créer de nouvelles histoires, remplies d'espoir.
1 Commentaire
Ghislaine Patenaude
11/23/2017 07:16:40 am
Continues envers et contre toute ! Un jour tu sortiras des ténèbres...et j'en suis très confiante que le public te découvre enfin...
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Geneviève FalaiseArtiste de la parole Archives
Décembre 2018
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